chien servile ⚡ ft. bae gabe

Lorsque Gabe était arrivé, aux alentours de dix-huit heure, devant la mairie d’Equilibrium, il avait tourné en rond pendant de longues heures devant, avant de se décider à rentrer finalement. Il n’avait pas pour habitude de jouer les timides, mais là, il était convoqué à la mairie. La mairie. Par la mairesse. Il en avait oublié de dormir ce matin, après être rentré de boite. Mais si la guérison pouvait faire quelque chose pour lui, c’était de cacher à quel point il était fatigué. Et fatigué, il ne l’était plus depuis bien longtemps. Une épave, c’était plutôt ce à quoi il ressemblait à l’intérieur. Mais peu importe, puisque son corps ne suit pas son esprit. Son corps va de l’avant. Sans lui.

Gabe se présente quinze minutes avant l’heure indiquée sur sa convocation, et pour être honnête il est à deux doigts de vomir. Personne chez le Ragnarök ne sait pourquoi il a été convoqué, certainement pas Carbone.

Il patiente, encore, et encore, se retrouvant à prendre des positions de plus en plus improbables sur les sièges de la salle d’attente, jusqu’à ce qu’il se retrouve les jambes en l’air et la tête en bas, la secrétaire le fixant d’un air extrêmement blasé jusqu’à ce qu’elle ne vienne le chercher. Gabe la charrie tout du long tandis qu’elle l’amène jusqu’à une porte, une porte tellement élégante que Gabe se sent déjà mal, parce que cette porte est plus élégante qu’il ne le sera jamais. Et celle qui se trouve derrière cette élégante porte, était le paroxysme même de la distinction. Il entre, elle parle, mais il ne l’entend pas. C’est elle. A quelques détails près. La mairesse est plus jeune, plus belle, plus diaphane, mais elle est entourée de la même aura destructrice et blessée. Ecrasante.

‘…Siobhàn Balzan-Yldnn, Mairesse d'Equilibrum.’

Il secoue la tête, et reprend son souffle – qu’il ne se souvient pas d’avoir perdu. Il se penche brutalement en avant, en un salut droit et rigide.
« Wild, Gabe Wild, Madame. » Il reste ainsi, parce qu’il ne trouve pas la force de lui faire de nouveau face.

Elle veut qu’il se relève, mais il ne veut pas obéir. Il ne veut pas poser ses yeux sur elle, même si elle n’est pas dans cette pièce. La main de la mairesse se pose sur son épaule, et Gabe doit se battre pour ne pas se reculer – ou tomber à genoux, au choix. Allez, ressaisit toi, Gabe, t’es pas là pour rien, il se dit, et il se redresse, et il la regarde aller s’asseoir à table, alors il la suit, mais franchement l’appétit lui manque. Allez, Gabe, il se dit à nouveau, t’es un pro pour jouer la comédie, n’oublie pas. Alors il va s’asseoir en face de la Maire, et il soulève la cloche, et il arrive même à sourire. Il la laisse parler, parce qu’après tout, chez les Ragnarök, on leur apprend à fermer sa gueule quand quelqu’un de haut gradé parle – Carbone, Lazarus et les autres y tiennent, très fort. Il se met à jouer un peu avec la nourriture, avant de se saisir du pilon de poulet à pleine main et de l’apporter à sa bouche pour mordre dedans férocement. Il l’esquive du regard, mais il espère que le spectacle qu’il est en train de lui offrir va la distraire de ce petit détail. Il l’écoute, il écoute sa voix aussi douce que la caresse donnée par une rose pleine d’épine lui chanter les paroles qui vont l’embobiner dans des pratiques et des situations encore plus illégales et frauduleuses que celles dans lesquelles il se projette déjà avec le Ragnarök. Gabe le sait, il sait qu’elle sait qu’il est parfaitement conscient du fait qu’elle lui balance de la poudre aux yeux, mais Gabe s’en fout, il est une victime d’Equilibrium depuis toujours, alors pourquoi essayer de se battre ? Autant fermer les yeux et prendre ce qu’on lui tendait comme le bon clebs qu’il était.

Donnez-lui un os, madame la Maire, et il le rongera pour vous. Demandez-lui de s’interposer entre vous et la balle de votre prochain agresseur, et il le fera, parce qu’il est né pour ça. Il est né pour se plier à vos exigences et rentrer dans le moule que vous avez concocté pour lui.

Sa vie, elle lui échappe déjà, elle lui échappait déjà avant, alors peu importe. Il attend sagement qu’elle termine, et il repose son pilon de poulet, pour répondre : « M’dame, c’te promotion elle sent bon, j’ai aucune raison de refuser, mais mes supérieurs voudront probablement que j’reste à la disposition du Ragnarök. » Il hausse les épaules et attrape la serviette en dentelle près de son assiette pour éponger ses lèvres du jus que le poulet y à laisser. Son ventre grogne parce qu’il s’est forcé, et que son angoisse était justifier. Il va devoir côtoyer cette femme, qui lui rappelle sa prof, et il va devoir recommencer à ployer pour elle. Mais c’est le travail. Tant pis. Il se foutra un peu plus en l’air pour oublier. « J’accepte avec plaisir. » Il ment. Ou ment-il vraiment ? Il laisse son regard vagabonder sur le visage parfait de la Maire, et son cœur s’emballe malgré lui. Ressaisis-toi putain.

‘Vous m’avez déjà croisé auparavant ?’

C’est la question qui fait flancher Gabe. Il ne va pas lui répondre, parce qu’il est au travail, et qu’il ne mélangera jamais le travail et la vie privée, il se l’était juré – quel gros mensonge, son travail est basé sur la haine et la colère qui bouillonne en lui depuis des années. Il n’allait pas répondre, mais elle n’en avait clairement rien à foutre. Elle aussi, elle allait simplement pomper l’essence hors de Gabe, et le jeter comme un malpropre une fois qu’il ne resterait de lui qu’un tas de chair inutilisable. Bien. Je suis né pour ça, c’est ce qu’il se tue à se répéter depuis toujours.
A la mention du General B-Yldnn, Gabe flanche légèrement parce qu’il n’a jamais croisé l’homme, mais il en a entendu parler, et quelque chose lui dit que si la sœur est déjà écrasante, alors il ne voulait pas rencontrer le frère. Même si il savait de source sûre que la sœur était bien plus puissante, sur toutes les facettes.

Quelque chose ronge Gabe de l’intérieur, ça commence doucement, comme une aiguille qu’on lui aurait planté entre les deux yeux, c’est pas insupportable mais ça lui rappelle vaguement cet incident à Krome, avec cette petite brune qui lui avait violé l’esprit. C’est pas insupportable, jusqu’à ce que l’aiguille se transforme en une myriade de poignards, est-ce que son crâne va exploser ?

« Hn… » Il laisse échapper un petit bruit de douleur, alors qu’elle s’approche avec un verre d’eau. Il la fixe, les yeux écarquillés, parce qu’il se pourrait que madame la Maire soit un poison encore plus brutale que son ancienne professeur. Il ne savait pas bien d’où ça venait, si ce n’est que ça venait d’elle. ‘Elle va me tuer.’ Il pense, avant qu’elle ne lui lance que l’eau va apaiser la douleur. Il est presque sûr qu’elle était sur le point de lui faire bouillir la cervelle, et que l’eau n’est en aucun cas ce qui va faire passer la douleur – elle a juste décidé de ne pas aller jusqu’au bout, et Gabe sait qu’il est ultra chanceux, pour le coup. Cela dit, elle l’achève avec une dernière phrase, et Gabe doit rester de marbre parce que c’est le travail.

Il descend le verre d’eau d’une traite, et la douleur s’apaise effectivement. Il prend une grande inspiration et se lève, posant son regard sur la Maire, et le soutenant, même s’il n’a qu’une envie, c’est de tomber à genoux.
« Vous et moi on est pas de la même race, m’am. Vous faites mal, et moi j’guéris. Depuis le départ, vous êtes faites pour commander et moi pour subir. Je n’ai jamais cessé de me battre pour survivre, et malgré tout, me voilà, à la botte d’une ville qui n’a qu’un objectif, forcer chacun de ses habitants à rentrer dans un moule tellement étroit qu’il finira par tous nous exterminer. J’ai pas eu le choix, c’était soit jouer les clébards pour cette ville, soit devenir l’un de ceux que vous méprisez si bien. J’suppose que ça tombe bien pour vous que j’sois des votre, alors, peut-être que c’est mieux de pas trop poser de questions sur les choix de vies de vos employés, m’dame. »

C’était sec, et dit sur un ton sérieux, parce que, son instinct de survie lui soufflait qu’il fallait tout faire pour ne pas revivre ce qu’il avait vécu, alors il essayait, même s’il savait qu’à partir du moment où elle l’aurait décidé, il n’allait pas avoir le choix que de ployer et lui exposer sa nuque.
Victime.
Il ne perdait rien à essayer de se protéger un peu, pas vrai ?

Gabe a tendance à oublier qu’il guérit instantanément, aussi se rend-il compte que le verre d’eau n’y est pour rien, et que si son mal de crâne passe rapidement, malgré la douleur que madame la Maire lui fait subir, c’est uniquement grâce à lui – ou plutôt grâce à la dégénérescence dont il a hérité le jour où il a téléchargé Soul Project. C’est pour ça, Gabe, qu’elle ne t’aura pas. Pas cette fois. Parce que tu pourrais lui tenir tête, à madame la Maire. Si t’en avait les couilles – et peut-être que tu les auras un jour, qui sait ?
Madame la Maire parle, et sa voix aussi suave que le glissement d’un serpent qui s’enroule autour de son cou fait se hérisser les poils sur les bras de Gabe. Il regarde par la fenêtre et serre les dents, parce qu’il sait qu’il doit fermer sa gueule. Quelque chose attire son attention, quelque chose qui s’approche à toute vitesse de la fenêtre et la brise. Le temps qu’il réagisse – et bon dieu, il aurait dû réagir avant, madame la Maire a déjà pris le dessus et l’a plaqué au sol, et ce n’est que partie remise, parce qu’au moment de la détonation, Gabe d’un mouvement pousse la Maire au sol, et la recouvre totalement de son corps. Le souffle est terrible, et cette grande n’est surement pas une simple grenade. Gabe hurle quand il sent la peau de son dos et de ses jambes bruler parce que la chaleur est insoutenable, mais bien vite tout redevient silencieux, si ce n’est pour les multiples alarmes déclenchées dans toute la mairie. Gabe reste de longues secondes étendus sur Siobhàn, et les vapes dans lesquelles il est plongé lui permettent de se dire qu’elle sent bon, et qu’elle est douce, et qu’il lui rappelle –
Il se redresse d’un coup, lâchant un petit cri parce qu’il est complètement brulé de partout, et il scanne la Maire, elle a quelques égratignures dû aux éclats de verre qui ont filtrés à travers Gabe.
« M’dame. M’dame ? » Elle ne réagit pas. Gabe se redresse et regarde alentour, personne d’autre qu’un corps complétement explosé au milieu de la pièce, là où ils étaient à peine quelques secondes plus tôt. Bordel, ça fait un mal de chien, mais il n’a pas le temps de s’attarder sur lui-même. Il place deux doigts contre la jugulaire de la Maire, son cœur bat, elle a juste perdu connaissance. Pas de sang, pas de traumatismes externes. Putain. Est-ce qu’il essaye de la réveiller, ou est-ce qu’il essaye de trouver qui a fait ça ? Il se relève, à priori la Maire ne risque rien. Il regarde alentour, et agrippe le flingue éléctrochargé qui est coincé dans son fourreau, et il le dégaine, s’approchant de la vitre qui n’est plus à présent qu’un trou dans le mur. Il regarde dehors, deux silhouettes s’enfuit en courant au loin – c’est déjà trop tard pour faire quoi que ce soit. Il aurait bien eu besoin d’une télétransportation, tien.